Bonjour, mes Poufsouffles d'amour. Quand cet article sera paru, je serais certainement en vacances, préparant en pleine montagne mon prochain recueil. Ceci est l'ultime extrait de l'Anthologie du Minotaure, un poème que vous aurez déjà entendu puisqu'il a déjà été un extrait audio, présent sur The Adrian Mander's History, l'audio que j'ai réalisé pour les phénix d'or. Ici, je vous propose la version écrite des Yeux Noirs, ainsi qu'une histoire tissée autour de ce poème, qui traduit à la fois ce que j'ai voulu dire, ce que j'ai pu ressentir, ou encore à qui il est destiné.


Crachin, tu te débats avec mes vers d'encre
Tes improbables larmes m'ont fait oublier
Ses proses d'amour, pourtant ceux que j'exècre
Sont toujours là contre le vent et les marées

La plongée horizontale vers le vide
Des tréfonds me fait peur car avant je voudrais,
Pour m'endormir, me lover en déicide
Sur tes jambes extralucides, mon aimé


Et lorsque sur moi se poseront les Yeux Noirs
Viens longer avec moi ce sinueux couloir
Et abandonne moi pour que je m'envole

Réouvre ton regard car le jour s'élève
Se fait point des batailles qui nous enlèvent
Reste donc en moi, ma lueur d'auréole...


« Ma lueur d'auréole... »


Une fois qu’il eut ainsi achevé ce poème, il reposa son stylo plume à côté du cahier dans lequel il avait pris l’habitude, depuis plusieurs mois, d’écrire. Et il relut ce qu’il venait de retranscrire. Les Yeux Noirs… Tout cela partait de deux choses : tout d’abord, une magnifique mélodie au piano de ce chant russe. Un chant dont les paroles étaient bel et bien le miroir de ce que lui-même avait cherché à dire dans ce sonnet. Cette chanson disait entre autres : « Je vois de la peine en vous pour mon âme / Je vois une flamme victorieuse en vous / Dans laquelle brûle mon pauvre cœur » et c’était exactement ce que lui-même ressentait. 

Et ce poème partait aussi d’autre chose. Quelque chose de bien plus important. Parce que cette mélodie avait un pouvoir, celui de lui évoquer l’une des personnes qui avaient le plus fait, qui comptaient le plus pour lui. Une belle histoire qui avait sa part de tragédie. Comme ce poème avait, selon son ressenti lorsqu’il l’avait écrit et relu, une part de douceur et également de tristesse. Cela lui évoquait une personne chère à son cœur, mais aussi un rêve brisé. Deux choses, comme deux yeux noirs qui lui pesaient depuis bien longtemps. Des yeux parfois réconfortants, parfois larmoyants, et compatissants aussi. Il n’y avait qu’une seule chose qu’il n’avait jamais pu observer dans ces yeux là. Une étincelle. Une flammèche. Une lueur, discrète mais certaine. Mais il s’y était résigné : l’amour naissant ne viendrait jamais dans ce regard tant que ce serait lui qu’il observerait. Tant que ce serait son image sur cette rétine. Alors qu’il songeait à cela, alors que cela durait depuis un an et qu’il savait qu’espérer ne servirait à rien, il se mit à pleuvoir. Étrangement, cela lui donna l’envie de se promener dehors. Il serait sûr d’être seul sous ce crachin.


« Ceux que j'exècre sont toujours là contre le vent et les marées… »

Oui, le monde de tous les jours lui paraissait hostile. Bien plus que la pluie qui s’abattait sur lui. Elle était de plus en plus forte, et le ciel de plus en plus noir. Mais peu lui importait, il continua de marcher. A présent, il sortait de la ville, sans réellement s’en rendre compte. Plongé dans ses pensées, il ne vit même pas qu’un véritable déluge se produisait. Il s’en fichait éperdument : marcher, encore, les pieds sur terre et l’âme dans une danse pluvieuse. Une ronde désespérée, au rythme du monde englouti. Perdu dans une petite clairière, sans avoir fait attention à la direction qu’il prenait ni au temps de sa balade, il sut pourtant où il se trouvait.

Face à lui, un petit carré de terre entouré d’une petite palissade de bois, comme un potager. C’était le sien, son potager. Et rien n’y avait jamais poussé. Pas un seul des rêves qu’il y avait plantés. Pourtant, lorsqu’il y regarda plus attentivement, il observa un bourgeon. Un seul, infime, mais la preuve que cette terre n’était pas infertile. Cependant, il préféra éviter de prendre la nouvelle avec joie : qui sait quelle déception il aurait pu essuyer ensuite. C’est alors que des éclairs zébrèrent la voûte céleste et que le tonnerre vint l’extraire à ses pessimistes réflexions.


« La plongée horizontale vers le vide des tréfonds me fait peur »

La pluie s’accrut, frappa le sol, les arbres, les toits des maisons voisines avec violence. Et le niveau de l’eau commençait à monter à une vitesse incroyable. Là, il sut qu’il fallait s’extraire un moment de ses pensées lyriques et mélancoliques : la nature s’adressait à lui.


« Crachin, tu te débats avec mes vers d'encre »

Il prit peur de ce courroux : que se passait-il donc ? Il ne se trouvait pourtant pas dans un terrain susceptible d’être ainsi inondé alors pourquoi l’eau montait-elle aussi vite ? Pourquoi ? Il avait froid dans cette eau glaciale, et sentit alors qu’autre chose en lui était en train de se noyer : dans le revers de sa veste, il prit le cahier de poésie qu’il avait emporté avec lui, et il vit comment cette pluie torrentielle était en train de diluer toutes ses strophes. Adrian disparaissait, alors que la Chevauchée n’était déjà plus qu’un souvenir. L’encre coulait et, paniqué, il tourna vivement les pages, et constata alors qu’un seul poème semblait résister à l’eau. Que, parmi tous les poèmes qu’il avait écrits, c’était celui-ci qui survivrait. Le plus beau selon lui. Le plus personnel. Ce poème, c’était celui qu’il venait d’achever. Ce poème, c’était les Yeux Noirs. Et il savait pourquoi. Parce que, s’il ne devait conserver qu’un seul des poèmes qu’il avait écrits, ce serait ce poème. La tempête parlait pour lui.


« Réouvre ton regard car le jour s'élève »

La pluie ne cessait pas, mais le soleil, lui, transperça les nuages gris. Et dessina le plus beau des arcs en ciel, naissant du ciel et retombant sur le potager noyé par les flots. Et là, le poète admira le plus beau spectacle de sa vie : un bourgeon, ce rêve fragile et éphémère, avait donné naissance au plus magnifique de tous les chênes de ce bosquet. C’était là que s’achevait l’arc coloré. Il n’avait jamais vu un arc en ciel d’aussi près, et fut surpris de voir de quoi il était constitué. 

Dans cet arc lumineux, des centaines, des milliers de bout de papiers de différentes couleurs lévitaient. Il en attrapa un au hasard, et le lut. Il était en anglais et le lut : « don’t let me die ». Ne me laisse pas mourir… Il en lut un autre, en français cette fois ci : « je sais bien que j’ai froid dedans ». Et un troisième : « tu dis qu’aimer n’est pas un jeu d’enfants ». Des choses qu’il aurait pu écrire. Il comprenait un peu. Soudain, il glissa, et s’effondra dans l’eau.


« Et lorsque sur moi se poseront les Yeux Noirs… »

Et en me relevant, je vis mon reflet. Un reflet qui se métamorphosait sous les coups que la pluie lui portait. Ce « moi » mutilé se mit à te ressembler, comme s’il pensait à toi. Comme il y avait souvent pensé lorsque ces inconnus le méprisaient. Et dans ce regard qui paraissait refléter le mien, je voyais une étincelle. Ce n’était pas un mot tombé du ciel. Ce n’était pas la beauté d’un rêve éclos. Ce n’était pas la splendeur d’un soleil invaincu. C’était simplement tes yeux, si noirs, si beaux, et qui m’aimaient à leur manière. Moi je t’aime. Toi, je n’en douterai jamais. Ce n’est pas la flamme que je voudrais, mais qui serais-tu si tes yeux devaient n’être qu’un reflet des miens ?